L’opération Sangaris, débutée le 5 décembre après le vote de la résolution 2127 de l’ONU, consiste en une mission de sécurisation avec le désarmement des milices qui se livrent à des exactions sur la population. 1 600 soldats français sont déployés en République centrafricaine afin de « faciliter la montée en puissance » de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA) qui devrait passer de 3 000 à 6 000 hommes. Mais cette opération de stabilisation « rapide et efficace » de l’ordre de 6 mois, selon François Hollande, pourrait s’avérer plus compliquée que prévu.
« La spirale de l'affrontement s'est brutalement aggravée, ajoutant à la crise sécuritaire les prémices d'une crise humanitaire »
Lors de son escale à l’aéroport de M’Poko à Bangui, le 10 décembre, le chef de l’État a qualifié l’opération de « dangereuse » mais « nécessaire ». Rendant hommage aux deux soldats du 8e RPIMa de Castres, Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, qui ont perdu la vie lors d’une patrouille dans Bangui le 9 décembre, il a déclaré : « Ils ont donné leur vie pour en sauver d’autres, car tel est le sens de votre mission : sauver des vies ».
Mais outre les difficultés sur le terrain, notamment d’identification des acteurs en présence - les anciens rebelles de la Séléka (en majorité musulmans) les milices d’auto-défense anti-Balaka (en majorité chrétiens) et autres groupes de bandits qui profitent des troubles - le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui s’est rendu ce vendredi 13 décembre en RCA, a estimé que la situation pouvait « déstabiliser toute la région » et a ajouté : « La spirale de l'affrontement s'est brutalement aggravée, ajoutant à la crise sécuritaire les prémices d'une crise humanitaire ».
Mais plus que des « prémices », le porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), Adrian Edwards, a dénoncé le 13 décembre, une « dégradation de la crise humanitaire » avec plus de 600 morts dans le pays et 159 000 déplacés qui ont fui les violences de la seule capitale la semaine dernière et qui vivent dans des conditions dramatiques. Face à ces conditions et aux « nombreuses informations » faisant « état de violences aveugles contre les civils, de recrutement d'enfants soldats, de violences sexuelles et à l'encontre des femmes, de pillages et de destructions de biens », il appelle « de nouveau toutes les parties à laisser l'aide humanitaire accéder aux personnes déplacées et à protéger les civils. »
Annonce d’un agenda politique : qui veut la tête de Michel Djotodia ?
Lors d’un entretien accordé à France24, RFI et TV5 Monde, François Hollande a annoncé un nouvel objectif : « On ne peut pas laisser en place un président qui n’a rien pu faire, voire même a laissé faire ». S’il a ajouté que « l’idée était d’aller le plus vite possible vers des élections, avant 2015 », [elles sont prévues pour février 2015] la formule malheureuse a conduit à une rumeur en RCA selon laquelle la France voulait renverser Michel Djotodia.
L’entourage du président français a ensuite tenté t’atténuer ses propos arguant que la tenue rapide d’élections pourrait contribuer à un retour à « un ordre constitutionnel crédible » selon les mots du représentant de la France auprès des Nations Unies, Gérard Araud. Et lors de la visite de François Hollande à Bangui - où il a rencontré son homologue centrafricain, quelque peu tendu – un membre de la délégation présidentielle française a affirmé : « La mission “Sangaris” n’a pas d’objectif politique. Elle n’est pas là pour soutenir ou précipiter la chute de M. Djotodia. Nous nous en tenons aux accords signés. Le plus tôt se tiendront les élections sera le mieux. »
Un sentiment d’improvisation malgré une diplomatie française « très active » depuis le début de la crise
Sur l’antenne de France Culture, la journaliste spécialiste de l’Afrique de Libération, Maria Malagardis, argue que cette déclaration maladroite ainsi que l’emploi impropre du terme « génocide » par Laurent Fabius donne un sentiment d’improvisation. Elle considère que cette opération « semble avancer à courte vue ».
Cependant la diplomatie française est « très active » depuis le début de la crise en RCA, selon une source diplomatique. En août dernier, face à de « fortes préoccupations » quant à la possibilité de formation d’un « foyer de déstabilisation » dans la région et à la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire, s’il n’était pas question pour la France d’intervenir militairement directement, elle apportait déjà un soutien à la MISCA, à travers sa mission Boali, ainsi qu’un soutien humanitaire et avait entamé un travail de mobilisation au niveau européen et onusien pour soutenir les initiatives des partenaires africains.
Une « reconstruction du vivre ensemble, du politique, que seuls les Centrafricains pourront faire »
Selon Amandine Gnanguenon, chercheuse à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM), « sur le court terme, l’armée française a les moyens de faire basculer le rapport de force », mais la sécurisation dans tout le pays sera très compliquée, avec des groupes qui risquent de passer les frontières. Elle ajoute que « le problème est le long terme », car il s’agit d’une « problématique de sécurité générale qui touche à des questions humanitaires et surtout à des questions de réconciliation ».
En outre, Amandine Gnanguenon estime que l’élection érigée en finalité est une erreur, considérant qu’elle ne permettra pas de résoudre les problèmes. « Le processus politique se crée à la base et il ne peut être impulsé par l’extérieur ». Il s’agit pour elle d’une « reconstruction du vivre ensemble, du politique, que seuls les Centrafricains pourront faire ». Pourtant, François Hollande l’a affirmé lors de sa visite à Bangui : « Le plus difficile est de réconcilier un peuple déchiré. Nous devons réussir cette mission. Elle est belle. Elle est la nôtre. »
Anne-Laure Chanteloup
Pour en savoir plus :
Culturesmonde : « Opération Sangaris » : La France dans le bourbier centrafricain (France Culture)
La France envoie des troupes en Centrafrique, (Véronique Pierron, AllGov France)
Centrafrique : La France engagée pour mettre fin à un conflit oublié, (Anne-Laure Chanteloup, AllGov France)
Résolution 2127 du Conseil de sécurité de l'ONU, (site des Nations Unies)
Dégradation de la crise humanitaire en République centrafricaine, (site de l’UNHCR)
Discours de François Hollande à Bangui, (site de la Présidence de la République)
Remarques à la presse de Gérard Araud, représentant permanent de la France auprès des Nations Unies et président du Conseil de sécurité, (Site de La France à l’ONU)
François Hollande sur RFI : l'interview intégrale, (RFI)
Centrafrique : Le Drian, à Bangui et Bossangoa puis N'Djamena pour rencontrer Déby Itno, (Jeune Afrique)
François Hollande à Bangui : "Il était temps d'agir. Bientôt il aurait été trop tard", (Le Monde)
Biographie de Jean-Yves Le Drian, (AllGov France)
Biographie de Laurent Fabius, (AllGov France)